Article publié dans PARJAL – 28 mars 2015 – N°3043

Droit européen : la fin de la TVA à 5,5% pour le livre téléchargeable

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient de rendre un arrêt le 5 mars 2015 par lequel elle interdit à la France de pratiquer un taux de TVA réduit (5,5%) au téléchargement de livres électroniques, contrairement aux livres papier, ce que fait la France depuis trois ans.

En France, même si les ventes de livres numériques ont progressé de 45 % en valeur, atteignant 63,8 millions d’€, et de 60 % en volume avec 8,3 millions de livres téléchargés, selon les données de l’institut d’études de marché GfK, le livre numérique ne pèse que faiblement dans le chiffre d’affaires des éditeurs. Il représente aujourd’hui 1,6 % du chiffre d’affaires total des éditeurs et 2,4 % des volumes.

Afin de dynamiser le marché du livre téléchargé, le Parlement français a voté en décembre 2010 l’élargissement du taux de TVA à 5,5% au livre sur support numérique ou « téléchargeable » (fourni à titre onéreux par voie de téléchargement ou de diffusion en flux dit « streaming »).

Cette disposition est en vigueur depuis le 1er janvier 2012.

Toutefois, dès juillet 2012 la Commission européenne a introduit un recours en manquement[1] contre la France et le Luxembourg, ce dernier ayant tenté également l’élargissement du taux réduit au livre sur support numérique.

La Commission a demandé à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de constater qu’en appliquant un taux réduit de TVA à la fourniture de livres électroniques, la France et le Luxembourg ont manqué aux obligations qui leur incombent en vertu de la directive TVA.

La Commission a fait valoir que l’application, par la République française, d’un taux réduit de TVA à la fourniture de livres électroniques téléchargeables est incompatible avec les articles 96 et 98 de la directive TVA 2006/112/CE, lus en combinaison avec les annexes II et III de celle-ci et le règlement d’exécution n° 282/2011.

Par arrêts du 5 mars 2015, la CJUE a accueilli les recours en manquement de la Commission.

La décision du 5 mars 2015 de la CJUE est fondée sur le fait que selon elle,
le livre téléchargeable n’est pas un bien mais un service qui, selon la Directive TVA 2006/112/CE[2], doit être taxé au taux de 20%.

La directive 2009/47/CE du 5 mai 2009 modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne les taux réduits de TVA a étendu la possibilité de taux réduit aux livres numériques sur supports physiques (par exemple sur un Cdrom). Reste en effet la question du téléchargement.

La CJUE relève tout d’abord qu’un taux réduit de TVA ne peut s’appliquer qu’aux livraisons de biens et aux prestations de services visées à l’annexe III de la directive TVA 2006/112/CE. Cette annexe mentionne notamment la « fourniture de livres, sur tout type de support physique ». La Cour en conclut que le taux réduit de TVA est applicable seulement à l’opération qui consiste à fournir un livre se trouvant sur un support physique. Si, certes, le livre électronique nécessite, aux fins d’être lu, un support physique (comme un ordinateur), un tel support n’est cependant pas fourni avec le livre électronique, si bien que l’annexe III de la Directive n’inclut pas dans son champ d’application la fourniture de tels livres.

Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne constate que la directive TVA 2006/112/CE exclut toute possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA aux « services fournis par voie électronique ». Selon la Cour, la fourniture de livres électroniques constitue un tel service. Elle écarte l’argument selon lequel la fourniture de livres électroniques constituerait une livraison de biens (et non un service). En effet, seul le support physique permettant la lecture des livres électroniques peut être qualifié de « bien corporel », un tel support étant cependant absent lors de la fourniture de livres électroniques.

La CJUE conclut donc que l’absence de support physique lié au livre numérique en fait un service électronique inéligible au taux réduit de TVA.

La France ne pourra donc pas continuer d’appliquer un taux de TVA réduit sur le téléchargement de livres, et devra appliquer le taux de TVA normal de 20%.

Parallèlement à son recours, la Commission européenne avait lancé une consultation sur les taux réduits de TVA en général. A cette occasion la majorité des États membres s’était déclarée favorable à un parallélisme fiscal avec le livre sur support numérique. On rappellera en particulier le ralliement de l’Allemagne à la position française lors de la rencontre « Avenir du livre, avenir de l’Europe » du 9 juillet 2013 à Berlin.

Toutefois, au regard de la décision qui vient d’être rendue par la CJUE, une TVA réduite appliquée au livre téléchargeable impliquerait une réforme de la Directive TVA, ce qui exige un accord de tous les membres de l’Union européenne.

Or, pour l’instant le Royaume-Uni et le Danemark s’opposent à ce que le livre numérique soit retiré de la liste des services interdits de taux réduit par la Directive TVA 2006/112/CE.

Il s’agit davantage d’une opposition à la réduction de la TVA en règle générale, qu’une opposition au parallélisme fiscale. Les Etat libéraux prônent en effet l’utilisation de la taxe sur la valeur ajoutée assise sur les biens, car elle ne touche pas proportionnellement les revenus les plus aisés.

Le parallélisme fiscal peut naître de l’application du taux normal à tous les livres, quel qu’en soit le support. Le principe de neutralité fiscale entre produits de même nature est en effet respecté qu’il s’agisse d’un taux réduit, ou d’un taux normal.

Les professionnels de l’édition militent toutefois en faveur d’un taux réduit élargi à l’ensemble des livres, quel que soit leur support de lecture, pour œuvrer en faveur de la diffusion des œuvres, et dynamiser le marché du livre électronique.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat s’inquiète, par ailleurs, de l’avenir de la presse en ligne, qui devrait prochainement, en toute logique, pâtir d’une décision similaire, alors que le Parlement français avait, à l’unanimité, il y a un an, approuvé l’application d’un taux de TVA identique pour l’ensemble de la presse.

En définitive, toutes les branches d’activité (restauration, construction, culture,…) souhaiteraient se voir appliquer une TVA réduite généralisée à tous leurs produits au nom du principe de neutralité fiscale entre produits de même nature. La vraie question est donc de savoir quels produits l’Union européenne entend favoriser. Au vu de la récente décision de la CJUE, il ne s’agit pas du livre téléchargeable.

Maud GENESTE
Avocat au Barreau de Montpellier

[1] Un recours en manquement, dirigé contre un État membre qui a manqué à ses obligations découlant du droit de l’Union, peut être formé par la Commission ou par un autre État membre. Si le manquement est constaté par la Cour de justice, l’État membre concerné doit se conformer à l’arrêt dans les meilleurs délais, sous peine de sanctions pécuniaires.

[2] Directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée
(JO L 347, p. 1).

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