UNION EUROPÉENNE et la « force de chose jugée » d’une décision rendue dans un autre État membre

Article publié dans 7Officiel – 13 octobre 2015 – N°1766

 

Le 16 juillet 2015, la Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-après CJUE), sur demande préjudicielle[1] introduite par un Tribunal des Pays, a rendu un arrêt important concernant la force exécutoire d’une décision rendue dans un État membre de l’Union.

L’article 33, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 dispose que « les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure ».

Toutefois, suivant l’article 34 de ce règlement, « Une décision n’est pas reconnue si la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis ».

La seule barrière à la reconnaissance et l’exécution dans un État membre d’une décision (jugement, arrêt, titre exécutoire…) rendue dans un autre État membre est la violation manifeste de l’ordre public.

Dans l’arrêt en question, la CJUE est venue préciser les contours de la violation manifeste de l’ordre public.

Le renvoi préjudiciel a été présenté dans le cadre d’un litige opposant Diageo Brands BV (titulaire de la marque « Johnny Walker ») et Simiramida, un distributeur en Bulgarie, au sujet d’une demande d’indemnisation formée par cette dernière pour le dommage que lui aurait causé une saisie effectuée à la demande de Diageo Brands.

Le 31 décembre 2007, un conteneur de 12 096 bouteilles de whisky de la marque « Johnny Walker », destiné à Simiramida, est arrivé au port de Varna en provenance de Géorgie.

Considérant que l’importation en Bulgarie de ce lot de bouteilles sans son autorisation constituait une atteinte à la marque dont elle est titulaire, Diageo Brands a sollicité et obtenu, par ordonnance du 12 mars 2008, l’autorisation du Tribunal bulgare de le faire saisir.

Sur appel de Simiramida, la Cour d’appel de Sofia a annulé cette ordonnance, de sorte que la saisie du lot de bouteilles de whisky effectuée à la demande de Diageo Brands a été levée.

Dès lors, Simiramida a saisi la Juridiction néerlandaise aux fins de condamner Diageo Brands à lui verser, à titre de réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi en raison de la saisie effectuée à la demande de cette dernière, une somme qu’elle évalue à plus de 10 millions d’€, fondant sa demande sur le jugement du Tribunal bulgare qui a constaté le caractère illégal de cette saisie.

En défense, Diageo Brands a fait valoir que ce jugement ne pouvait pas être reconnu aux Pays‑Bas au motif qu’il est manifestement contraire à l’ordre public néerlandais, au sens du règlement n°44/2001. Elle fondait cette violation de l’ordre public sur le fait que la Juridiction bulgare n’avait pas appliqué la règle de droit qu’aurait appliquée la Juridiction néerlandaise, si elle avait eu à connaître de cette demande d’annulation de saisie.

En conséquence, selon le défendeur, ce jugement ne pouvait pas avoir force de chose jugée aux PAYS BAS et emporter sa condamnation à des dommages-intérêts dans cet État.

La CJUE répond que le recours à la clause de l’ordre public, figurant à l’article 34, du règlement n° 44/2001, n’est concevable que dans l’hypothèse où la reconnaissance de la décision rendue dans un autre État membre heurterait de manière inacceptable l’ordre juridique de l’État requis, en tant qu’elle porterait atteinte à un principe fondamental. Afin de respecter la prohibition de la révision au fond de la décision rendue dans un autre État membre, l’atteinte devrait constituer une violation manifeste d’une règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’État requis ou d’un droit reconnu comme fondamental dans cet ordre juridique.

En conséquence, la reconnaissance d’une décision dans un autre État membre ne peut être refusée au seul motif qu’une divergence existerait entre la règle de droit appliquée par le juge de l’État d’origine, et celle qu’aurait appliquée le juge de l’État requis s’il avait été saisi du litige.

Maud GENESTE
Avocat au Barreau de Montpellier

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[1] Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d’un litige dont elles sont saisies, d’interroger la Cour sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d’un acte de l’Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l’affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire.