Injonction de payer européenne : attention à la notification de l’ordonnance au débiteur !

Article publié dans 7Officiel – 13 janvier 2015 – N°1727

 

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu un arrêt le 14 septembre 2014[1], suivant lequel, l’absence de notification de l’ordonnance d’injonction de payer européenne (IPE) au débiteur, doit ouvrir à celui-ci un recours lui permettant d’obtenir l’invalidité de ladite ordonnance d’injonction, ce qui signifie son anéantissement.

Comme l’injonction de payer française, l’injonction de payer européenne (IPE)[2], débute par une phase non contradictoire (requête du créancier auprès tribunal du lieu du débiteur), puis une fois l’ordonnance rendue par la Juridiction, elle doit être signifiée[3] au débiteur, lequel dispose d’un délai d’un mois pour former opposition.

En cas d’opposition, les parties sont convoquées à une audience, et l’affaire est examinée selon les voies ordinaires de droit commun.

La sanction de l’invalidité est extrêmement sévère dans la mesure où elle anéantit purement et simplement l’ordonnance, et oblige le créancier à redéposer une requête.

La disproportion de la sanction apparaît encore plus manifeste au regard de ce que recouvre pour la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), la notion d’« absence de notification ».

En effet, dans les trois cas qui étaient exposés à la Cour[4] par la Juridiction allemande, cette dernière concluait à l’absence de notification des ordonnances d’IPE, alors qu’il y avait bien eu tentative de notification, mais à une mauvaise adresse.

Les adresses n’étaient plus les bonnes, car les débiteurs avaient déménagé.

La Juridiction n’a pas cherché à savoir si l’erreur d’adresse pouvait être imputable au débiteur qui dissimulait volontairement sa nouvelle adresse. Le débiteur qui ne fait pas suivre son courrier et n’informe pas l’administration postale de son changement d’adresse est difficilement localisable.

Dans cette hypothèse pourtant, la notification au dernier domicile connu du débiteur devrait être considérée comme valable, même si la lettre revient avec la mention « n’habite pas à l’adresse indiquée ».

En pareilles circonstances, le régime de l’injonction de payer française prévoit que le débiteur auquel l’ordonnance d’injonction de payer n’a pas été délivrée à personne, conserve la possibilité de former opposition dans le délai d’un mois à compter du premier acte qui lui sera signifié à personne, ou de la première mesure d’exécution forcée ayant pour effet de rendre indisponible tout ou partie des biens du débiteur (une saisie-attribution par exemple).

L’idée est que le délai d’un mois pour former opposition commence à courir à compter du jour où le débiteur a eu connaissance de la procédure.

De l’avis de l’auteur, ce délai d’un mois devrait courir à compter d’un dépôt à l’étude d’huissier doublé d’une lettre simple au débiteur, dès lors qu’il s’agit de son dernier domicile connu, à charge pour le débiteur de faire suivre son courrier ou d’informer rapidement l’administration postale de son changement d’adresse.

Le débiteur qui se dérobe aux créanciers ne devrait pas être récompensé par la possibilité de former opposition seulement lorsqu’il aura été retrouvé, souvent au moment de l’exécution. En effet, seul un titre exécutoire permet à l’huissier d’effectuer des enquêtes poussées auprès des administrations (URSSAF, CAF…) pour connaître la nouvelle adresse du débiteur.

En définitive, le critère déterminant la voie de recours ne devrait pas être fondé sur l’existence ou l’absence de notification, mais sur l’imputabilité de l’absence de notification ou de notification à une mauvaise adresse : si l’erreur d’adresse est imputable au débiteur qui tente de se dérober, cette stratégie ne devrait pas lui permettre de bénéficier d’un délai pour former opposition qui courrait à compter de la date où il est enfin retrouvé.

A l’inverse, si le débiteur fait diligence pour faire suivre son courrier ou informer l’administration postale de son changement d’adresse, il doit bénéficier du report du délai d’opposition, et c’est le créancier qui doit être normalement sanctionné pour n’avoir pas pris la peine de rechercher la nouvelle adresse connue du débiteur.

Cela ne justifie toutefois pas que le débiteur puisse demander l’invalidité de l’ordonnance d’injonction, tel que cela vient d’être jugé par la Cour de Justice de l’Union Européenne pour l’injonction de payer européenne. En effet, si le débiteur saisit le juge de cette question, ou forme opposition, c’est que le créancier a fini par lui notifier l’ordonnance à sa bonne adresse. Il n’y a donc pas absence de notification, mais une notification tardive qui a permis au débiteur de gagner du temps, et parfois d’organiser son insolvabilité au préjudice du créancier. Temps qui ne doit pas faire courir d’intérêts bien entendu, puisqu’il est imputable au créancier.

La sanction est donc déjà assez lourde pour le créancier, et il n’y a aucune raison pour que le débat sur le bien-fondé de la créance n’ait pas lieu. L’invalidité conduirait à recommencer à zéro de manière injustifiée, alors qu’un débat au fond s’impose.

La sanction de l’invalidité qui oblige à ressaisir le juge d’une requête n’est pas pour désengorger les tribunaux.

En outre, cette sanction accentuera le penchant des débiteurs enclins à tout faire pour échapper à la notification afin de gagner encore plus de temps.

Dans le régime français, l’invalidité est la sanction de l’absence de diligence du créancier qui laisse sans suite une demande d’injonction de payer. Si l’ordonnance n’a pas été signifiée au débiteur après un délai de 6 mois, il est normal qu’elle devienne caduque. En revanche, l’erreur d’adresse ne doit pas être sanctionnée par l’invalidité, ou les fausses domiciliations, tentatives de dissimulations, et changement récurrents d’adresse, déjà monnaie courante, deviendront incontournables et la clé pour éteindre une dette !

En effet, si la dette est prescrite, le créancier ne pourra même plus représenter une requête, dans la mesure où une ordonnance invalide n’est pas interruptive de prescription.

C’est pourtant la voie choisie par la CJUE, dont la décision, à raison du vide juridique laissé par le règlement CE n° 1896/2006, s’impose au juge national, à moins qu’une réforme bienvenue du règlement européen ne vienne remettre en cause cette jurisprudence aux effets pervers.

En attendant, il convient d’être particulièrement vigilant quant à la notification de l’ordonnance d’injonction de payer au débiteur. Depuis le 14 septembre 2014, date de l’arrêt de la CJUE qui fait jurisprudence, la notification ou signification d’une ordonnance d’injonction de payer européenne à une mauvaise adresse, expose l’ordonnance à l’anéantissement, peu important à qui cette erreur est imputable.

Le débat mérite sans doute d’être étendu à la possibilité pour le créancier d’interroger les administrations publiques sur l’adresse postale du débiteur avant d’être en possession d’un titre exécutoire, seul moyen d’assurer l’efficacité d’une injonction de payer à l’encontre d’un débiteur fantôme. À suivre …

Maud GENESTE
Avocat au Barreau de Montpellier

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[1] CJUE, 3e ch., 4 sept. 2014, aff. C-119/13, Eco cosmetics : JurisData n° 2014-020149
[2] régie par le règlement CE n° 1896/2006
[3] Dans certains États de l’Union, on ne parle pas de « signification », mais de « notification », car la profession d’huissier de justice n’existe pas, les actes judiciaires sont délivrés par LRAR.
[4] En cas de difficulté d’interprétation d’une disposition européenne, les juridictions nationales saisissent la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’une « question préjudicielle », dont la réponse s’impose au juge national.