DROIT EUROPÉEN : La clause confuse insérée dans un contrat d’assurance doit être jugée abusive

Article publié dans 7Officiel – 16 juin 2015 – N°1749

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt, le 23 avril 2015, sur renvoi préjudiciel[1] du TGI de Nîmes, dans lequel elle précise qu’un contrat d’assurance doit exposer de manière transparente, précise et intelligible le fonctionnement du mécanisme d’assurance, pour que le consommateur puisse en évaluer les conséquences économiques.

Une clause confuse, inintelligible, ou qui manque de clarté doit être jugée abusive.

Le fait que le contrat d’assurance soit lié à un contrat de prêt rend encore plus exigeant l’examen du respect de clarté et transparence des clauses contractuelles, car le consommateur est réputé ne pas faire preuve de la même vigilance quant à l’étendue des risques couverts lorsque l’emprunteur adhère à l’assurance avec le prêt.

L’affaire qui a donné lieu à cet arrêt opposait M. Van Hove à la CNP Assurances au sujet du caractère prétendument abusif d’une clause contractuelle incluse dans un contrat d’assurance, au regard de la Directive sur les clauses abusives[2].

En 1998, M. Jean-Claude Van Hove a conclu avec un établissement bancaire deux contrats de prêt immobilier d’un montant approximatif de 68.000 €. Lors de la conclusion de ces prêts, il a adhéré à un « contrat d’assurance groupe » auprès de la SA CNP Assurances.

La première clause de ce contrat d’assurance garantissait la prise en charge des échéances «dues par les emprunteurs à la contractante, en cas de décès, d’invalidité permanente et absolue, ou 75 % des échéances pour l’incapacité totale de travail».

En vertu de la deuxième clause, «(l)’assuré est en état d’incapacité totale de travail lorsque, à l’expiration d’une période d’interruption continue d’activité de 90 jours (dite délai de carence), il se trouve dans l’impossibilité de reprendre une quelconque activité rémunérée ou non, à la suite d’un accident ou d’une maladie ».

Suite à un accident de travail, M. Van Hove s’est retrouvé en incapacité permanente partielle de travail à un taux de 72 % au sens du droit français de la sécurité sociale. Le médecin mandaté par la compagnie d’assurance a conclu que l’état de santé de M. Van Hove n’était pas compatible avec la reprise de sa profession antérieure, mais rendait possible l’exercice d’une activité professionnelle adaptée à temps partiel. La compagnie a donc refusé de continuer à prendre en charge les échéances du prêt au titre de l’incapacité de M. Van Hove.

Van Hove a engagé une action en justice pour faire reconnaître que les termes du contrat sont abusifs concernant la définition de l’ITT et les conditions dans lesquelles le paiement des échéances est supporté par l’assurance. Selon M. Van Hove, la clause relative à l’ITT crée un déséquilibre significatif au détriment du consommateur, d’autant que sa définition est rédigée de manière incompréhensible pour un consommateur profane.

Pour la CNP Assurances, la clause concernée ne saurait constituer une clause abusive parce qu’elle porte sur l’objet même du contrat. Par ailleurs, la définition de l’ITT serait claire et précise, même si les critères pour fixer le taux d’incapacité fonctionnelle sont différents de ceux retenus par la sécurité sociale. Dans ces conditions, la juridiction française saisie du litige (TGI de Nîmes) a demandé à la CJUE si la clause en cause relevait du régime des clauses abusives au sens de la Directive, et pouvait donc être écartée.

La Directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs prévoit que les consommateurs ne sont pas liés par les clauses abusives qui figurent dans un contrat conclu avec un professionnel. Toutefois, échappent à ce régime les clauses qui portent sur la définition de l’objet principal du contrat, sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, ou sur les services ou les biens à fournir en contrepartie, « pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible ».

Par ledit arrêt, la CJUE précise qu’il n’est pas exclu que la clause litigieuse porte sur l’objet même du contrat dans la mesure où celle-ci semble délimiter le risque assuré et l’engagement de l’assureur tout en fixant la prestation essentielle du contrat d’assurance. Dans ces conditions, la clause ne serait pas soumise au régime des clauses abusives, « pour autant qu’elle soit rédigée de façon claire et compréhensible ».

La Cour laisse le soin au Tribunal national de vérifier ce point, et de déterminer si la clause fixe un élément essentiel de l’ensemble contractuel dans lequel elle s’inscrit.

Pour connaître de la rédaction claire et compréhensible de la clause, la Cour rappelle que l’exigence de transparence des clauses contractuelles, posée par la Directive, ne saurait être réduite au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical, mais que cette exigence doit être entendue de manière extensive. En l’occurrence, la Cour n’exclut pas que la portée de la clause définissant la notion d’ITT n’ait pas été comprise par le consommateur. Ainsi, il se peut que, faute d’explications transparentes du fonctionnement concret du mécanisme d’assurance relatif à la prise en charge des échéances du prêt dans le cadre de l’ensemble contractuel, M. Van Hove n’ait pas été en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découleraient. Il incombe là encore au tribunal national de vérifier ce point et d’apprécier le caractère abusif éventuel de la clause concernée.

Selon la Cour, le fait que le contrat d’assurance se situe dans un ensemble contractuel avec les contrats de prêt rend l’examen encore plus exigeant, car il ne saurait être exigé du consommateur de faire preuve de la même vigilance, quant à l’étendue des risques couverts par le contrat d’assurance, que s’il avait conclu de manière distincte le contrat d’assurance et les contrats de prêt.

En l’espèce, il ne saurait être exclu que la portée de cette clause en cause n’a pas été comprise par M. Van Hove.

En effet, le contrat d’assurance a été conclu afin de protéger l’emprunteur des conséquences qui résulteraient de son impossibilité de faire face aux mensualités de ses prêts. De la sorte, ce dernier pouvait s’attendre à ce que la notion d’« activité rémunérée ou non », figurant dans le contrat d’assurance et incluse dans la définition de l’incapacité totale de travail, corresponde à une activité professionnelle pouvant, au moins potentiellement, faire l’objet d’une rémunération suffisante afin qu’il puisse honorer les échéances mensuelles de ses emprunts.

Les doutes relatifs à l’absence de clarté de ladite clause sont renforcés par le caractère extrêmement large et vague de l’expression « activité rémunérée ou non » employée. En effet, le terme d’activité peut englober toute opération ou activité humaine réalisée afin d’arriver à une fin précise.

En outre, l’emploi du terme d’incapacité totale de travail (ITT) emporte une confusion, car il s’agit d’une notion pénale. En matière civile, l’ITT signifie « incapacité temporaire de travail » d’où la confusion qui a pu naître dans l’esprit de l’emprunteur.

Pour éviter cette confusion, le terme utilisé au civil est « incapacité permanente partielle ou totale », au sens du droit français de la sécurité sociale.

Selon la CJUE, la clause qui entretient la confusion doit être écartée sous peine de violer la Directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.

Maud GENESTE
Avocat au Barreau de Montpellier

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[1] Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d’un litige dont elles sont saisies, d’interroger la Cour sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d’un acte de l’Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l’affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire.
[2] Directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29).