DROIT EUROPEEN : la CJUE instaure une présomption de défaut de sécurité des produits

Article publié dans 7Officiel – 14 avril 2015 – N°1740

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) vient de rendre un arrêt le 5 mars 2015 par lequel elle juge que lorsqu’un appareil médical présente un défaut potentiel, tous les produits du même modèle peuvent être qualifiés de défectueux au sens de la directive européenne sur les produits défectueux, sans qu’il soit besoin de démontrer le défaut du produit dans chaque cas.

Cette décision est inédite dans la mesure où elle instaure une présomption de défectuosité du produit dès lors qu’un produit du même modèle a été jugé ou même seulement reconnu défectueux.

Le fabricant d’un tel appareil défectueux doit rembourser les coûts liés à son remplacement, dès lors qu’un tel remplacement est nécessaire pour rétablir le niveau de sécurité auquel on peut légitimement s’attendre.

Cet arrêt a été rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) sur renvoi préjudiciel[1] du Bundesgerichtshof (Cour fédérale d’Allemagne).

En l’espèce, une entreprise commercialise en Allemagne des stimulateurs cardiaques ainsi que des défibrillateurs automatiques implantables. Des contrôles de qualité effectués ultérieurement par l’entreprise sur d’autres appareils du même modèle ont démontré que ces produits pouvaient être défectueux et constituer un danger pour la santé des patients. Face à cette situation, le producteur a recommandé aux médecins de remplacer les stimulateurs implantés dans le corps des patients par d’autres stimulateurs mis gratuitement à disposition. Parallèlement à cela, le fabricant a recommandé aux médecins traitants de désactiver un interrupteur dans les défibrillateurs. Les assureurs des personnes dont le stimulateur ou le défibrillateur a été remplacé ont réclamé au fabricant le remboursement des coûts liés aux interventions.

Saisi du litige entre les assureurs et l’entreprise commercialisant ces dispositifs médicaux, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale d’Allemagne) a considéré que la résolution du litige supposait une interprétation de la Directive CE 85/374, et a donc saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’un renvoi préjudiciel.

La CJUE devait se prononcer sur le fait de savoir si les appareils remplacés en l’espèce pouvaient être qualifiés de défectueux, alors qu’aucun défaut n’a été spécifiquement constaté sur ces appareils, mais que les contrôles de qualité effectués par le fabricant sur d’autres appareils du même modèle ont révélé l’existence d’un défaut potentiel.

La juridiction allemande souhaitait également savoir si le coût du remplacement de ces produits constitue un dommage que le producteur est tenu de rembourser en vertu de la Directive.

La Directive sur les produits défectueux CE 85/374[2] prévoit que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, sur une personne (dommages corporels), ou sur une chose, autre que le produit défectueux lui-même, sans préjudice des dispositions nationales relatives aux dommages immatériels.

Ainsi que la Cour l’a déjà relevé, la responsabilité du fait des produits défectueux repose sur un fondement différent de la garantie des vices cachés[3] . Son fait générateur réside non pas dans le vice du produit, mais dans le fait que celui-ci n’offre pas « la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre », compte tenu de toutes les circonstances, et notamment de la présentation du produit, de l’usage du produit qui peut être raisonnablement attendu, et du moment de la mise en circulation du produit (article 6, paragraphe 1, de la directive 85/374).

La notion de défaut du produit doit s’apprécier uniquement au regard de la sécurité, et peut exister en dehors de tout vice interne du produit concerné.

La directive précise que, «pour protéger l’intégrité physique et les biens du consommateur, la détermination du caractère défectueux d’un produit doit se faire en fonction non pas de l’inaptitude du produit à l’usage, mais du défaut de sécurité à laquelle le grand public peut légitimement s’attendre».

Le défaut de sécurité ne réside donc pas dans le danger que peut présenter l’utilisation du produit, puisqu’un produit peut être dangereux sans pour autant présenter un défaut de sécurité (exemple d’une scie), mais dans les potentialités anormales de dommage que le produit est susceptible de causer à la personne ou aux biens de son utilisateur.

Cette notion doit s’entendre comme visant le produit qui présente des risques compromettant la sécurité de son utilisateur et présentant un caractère anormal, déraisonnable, excédant les risques normaux inhérents à son usage auxquels le grand public peut légitimement s’attendre.

Dès lors selon la CJUE, la seule possibilité d’une défaillance des stimulateurs constitue un défaut au sens de la Directive, dans la mesure où cette sécurité est celle à laquelle « on » pouvait légitimement s’attendre, peu important qu’il n’ait pas été concrètement établi que ces produits présentaient effectivement l’anomalie intrinsèque relevée par le fabricant.

La CJUE en déduit une présomption de défaut du produit, indépendamment de la constatation de l’existence d’une anomalie matérielle, lorsqu’un produit d’un même modèle présentant exactement les mêmes caractéristiques a été reconnu comme recélant un risque de défaillance bien supérieur à la normale ou qui a déjà présenté, en grand nombre, des défaillances.

Cette décision, élargie à d’autres produits, tels que des produits informatiques par exemple, ne manquera pas d’avoir des implications importantes en terme de présomption de responsabilité, et de charge de la preuve.

En effet, nul besoin de faire diligenter une expertise pour démontrer le défaut de sécurité du produit dès lors qu’il a déjà été démontré qu’un produit similaire avait détérioré des archives informatiques par exemple, ou qu’il est avéré qu’un produit similaire présentait ce défaut de sécurité en grand nombre. Un article de presse invoquant ce défaut en grand nombre suffirait de preuve. À bon entendeur…

Maud GENESTE
Avocat au Barreau de Montpellier

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[1] Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d’un litige dont elles sont saisies, d’interroger la Cour sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d’un acte de l’Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l’affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire.
[2] Directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (JO L 210, p. 29).
[3] Voir arrêt González Sánchez (C‑183/00, EU:C:2002:255, point 31).