Compétence des juridictions : ne pas confondre la règle et l’option.

Article publié dans 7Officiel – 19 juillet 2016 – N°1806

 

Dans un arrêt du 16 juin 2016, la Cour de Justice de l’Union Européenne rappelle qu’en matière de dommages financiers, la compétence spéciale du lieu du dommage n’est pas dérogatoire, mais optionnelle.

Universal Music est une maison de disques, établie aux Pays-Bas, qui fait partie d’Universal Music Group. Aux cours de l’année 1998, elle a racheté la maison de disques tchèque, B&M. Les contrats prévoyaient la vente et la livraison de 70 % des actions de B&M ainsi qu’une option d’achat des 30 % d’actions restantes. Le contrat portant sur l’option d’achat des actions restantes a été établi par un cabinet d’avocats tchèque, en République tchèque. Plusieurs versions de ce contrat ont été échangées entre ce cabinet, le service juridique d’Universal Music Group et les actionnaires de B&M. Dans ce contexte, une modification proposée par le service juridique d’Universal Music Group n’aurait pas été entièrement reprise par un collaborateur du cabinet d’avocats concerné. Ceci a conduit à une multiplication par cinq du prix de vente par rapport au prix initialement envisagé, étant entendu que ce prix de vente devait ensuite être multiplié par le nombre d’actionnaires. Le différend entre Universal Music et les actionnaires de B&M a été porté devant une commission d’arbitrage en République tchèque, les parties ayant convenu d’une transaction en 2005. Universal Music a assigné les avocats devant les juridictions néerlandaises, lieu du dommage, en faisant valoir qu’elle a subi le préjudice à Baarn (Pays-Bas). Elle s’appuyait sur un règlement européen qui détermine la compétence judiciaire pour les litiges civils et commerciaux au sein de l’Union européenne[1] . Saisi du litige en cassation, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour Suprême des Pays-Bas) a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation de ce règlement européen par renvoi préjudiciel[2]. Elle souhaitait notamment savoir si, dans la mesure où les Pays-Bas est la « lieu où le fait dommageable s’est produit » au sens du règlement, cela devait emporter la compétence des juges néerlandais. Dans son arrêt du 16 juin 2016, la Cour rappelle tout d’abord que le règlement en question attribue, en tant que règle générale, la compétence aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur est domicilié.

Le règlement prévoit un certain nombre d’attributions de compétence spéciales, parmi lesquelles figure la compétence des juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit. Toutefois, cette règle de compétence spéciale n’est pas dérogatoire mais optionnelle. L’emploi du terme « peut être attraite » caractérise bien le caractère optionnel de la compétence spéciale. La règle demeurant la compétence de la Juridiction du lieu du domicile du débiteur.

 

La Cour constate en outre que le contrat en question a été négocié et signé en République tchèque. Les droits et les obligations des parties ont été définis dans cet État membre, y compris l’obligation pour Universal Music de payer un montant plus élevé qu’initialement prévu pour les 30 % d’actions restants. Cette obligation contractuelle, que les parties au contrat n’avaient pas l’intention de créer, est née en République tchèque. Le préjudice pour Universal Music résultant de la différence entre le prix de vente envisagé et celui mentionné dans ce contrat est devenu certain lors de la transaction sur laquelle se sont accordées les parties devant la commission d’arbitrage, en République tchèque. Dès lors, l’obligation de paiement a grevé de manière irréversible le patrimoine d’Universal Music. La Cour conclut que la perte d’éléments du patrimoine est intervenue en République tchèque, puisque le dommage y est survenu. La seule circonstance que Universal Music a acquittée le montant transactionnel par virement au départ d’un compte bancaire qu’elle détenait aux Pays-Bas n’est pas de nature à infirmer cette conclusion. La Cour estime qu’un préjudice purement financier qui se matérialise directement sur le compte bancaire du demandeur ne peut être, à lui seul, qualifié de point de rattachement pertinent au sens du règlement. À cet égard, la Cour relève également qu’il n’est pas exclu qu’une société telle qu’Universal Music ait eu le choix entre plusieurs comptes bancaires à partir desquels elle aurait pu acquitter le montant transactionnel. Le lieu où ce compte est situé ne constitue donc pas nécessairement un critère de rattachement fiable. Dès lors, c’est uniquement dans la situation où les autres circonstances particulières de l’affaire concourent également à attribuer la compétence à la juridiction du lieu de matérialisation d’un préjudice purement financier qu’un tel préjudice pourrait, d’une manière justifiée, permettre au demandeur d’introduire l’action devant cette juridiction.

 

Maud GENESTE
Avocat

 

[1] Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO L 12, p. 1).

[2] Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d’un litige dont elles sont saisies, d’interroger la Cour sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d’un acte de l’Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l’affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire. Document non officiel à l’usage des médias, qui n’engage pas la Cour de justice.

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