L’avocate générale près la CJUE considère que l’application inconditionnelle d’un délai de forclusion de dix ans dans le cas de pathologies évolutives est contraire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.Après avoir reçu un vaccin contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, une salariée française a développé une série de symptômes persistants qui ont été attribués à un élément contenu dans le vaccin. Un rapport d’expertise a conclu que son état était consolidé et qu’il ne pouvait être conclu que la pathologie dont elle souffrait était en relation causale avec la vaccination. La victime a assigné le laboratoire pharmaceutique, invoquant tant la responsabilité pour faute que la responsabilité du fait des produits défectueux. Les juridictions nationales ont toutefois rejeté sa demande comme étant prescrite.
Dans un arrêt du 5 juillet 2023 (pourvoi n° 22 18.914), la Cour de cassation a considéré que, pour les lésions évolutives, le délai de forclusion ne commençait à prendre cours que lorsque le dommage était consolidé. La juridiction de renvoi a demandé à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de l’éclairer sur la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité des produits défectueux.
Dans ses conclusions présentées le 19 juin 2025 (affaire C-338/24), l’avocate générale Laila Medina rappelle que cette directive permet à une personne lésée d’assigner en justice un producteur au titre des dispositions communes nationales en matière de responsabilité pour faute, pour autant que la demande ne soit pas uniquement fondée sur le défaut du produit.
Examinant ensuite le délai imposé pour l’introduction d’un recours, l’avocate générale considère que l’application inconditionnelle à toutes les personnes lésées du délai de forclusion de dix ans fixé à l’article 11 de la directive, sans considération des circonstances propres aux personnes souffrant d’une pathologie évolutive dont l’état n’est pas consolidé avant l’expiration de ce délai, porte atteinte à la substance du droit à un recours effectif garanti par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
L’avocate générale observe enfin que l’article 10, § 1, de la directive doit faire l’objet d’une interprétation autonome et uniforme dans l’Union, parce que cette disposition elle-même ne laisse pas au droit des Etats membres le soin de fixer la date à laquelle le délai de prescription prend cours. Le lien entre le délai de prescription de trois ans et la connaissance du dommage par la personne lésée doit dès lors être compris de manière à permettre à la personne lésée de prouver tous les éléments requis – le dommage, le défaut et le lien de causalité – en vue d’obtenir une indemnisation intégrale. Même si une date rapprochée pour la manifestation du préjudice peut suffire pour les lésions non évolutives, les victimes de pathologies évolutives ne peuvent évaluer la nature et l’étendue du dommage tant que des preuves médicales n’ont pas montré que leur état était consolidé.
Fixer le début du délai à une date antérieure découragerait les intéressés d’introduire un recours dans les délais ou les forcerait à introduire un recours partiel, ce qui porterait atteinte à une protection juridictionnelle effective et entrainerait des issues divergentes en fonction des règles de procédure nationales. Pour préserver l’objectif de protection du consommateur poursuivi par la directive ainsi que le droit à un recours effectif garanti par la charte des droits fondamentaux, le délai de forclusion ne peut prendre cours avant la date de consolidation, définie comme étant la date à laquelle l’état de santé de la victime cesse d’évoluer.