Article publié dans 7Officiel – Mardi 27 Mai 2014 – N°1694

 

Travailleurs détachés européens : les nouvelles obligations du donneur d’ordre

Le Sénat a voté, le 6 mai 2014, la proposition de loi visant à responsabiliser le donneur d’ordre pour les infractions à la législation du travail relevant du sous-traitant établi dans un autre Etat de l’Union, dont les employés sont détachés en France le temps d’un chantier oud’une prestation.

La directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 autorise les entreprises ayant leur siège social dans un Etat de l’Union à détacher leurs employés dans un autre Etat membre pour une durée maximale de deux ans, à condition de respecter le droit du travail du pays d’accueil. En d’autres termes, l’employeur qui détache un employé en France demeure soumis aux cotisations sociales du pays d’établissement, mais il doit payer son employé au SMIC et respecter le Code du travail et la Convention collective dont relève son activité en France.

La directive 96/71/CE n’est toutefois pas appliquée, et nombreux sont les cas de fraude notamment dans les secteurs du bâtiment et du transport routier. Concrètement, on assiste à une optimisation européenne de la main d’oeuvre : les sous-traitants sont établis dans les Etats où les charges sociales sont les moins élevées, etdétachent des employés en France sans respecter le socle social imposé par la directive 96/71/CE (conditions de travail, congé, salaire du pays d’accueil,…).

Si le donneur d’ordre profite de cette optimisation sociale de la main d’oeuvre européenne, cette situation créé à l’évidence une concurrence déloyale pour les sous-traitants français qui respectent la législation du travail.

Aux fins de faire respecter la directive 96/71/CE, le Parlement européen a voté un texte d’application qui impose aux Etats membres de prévoir des mécanismes législatifs permettant d’engager la responsabilité solidaire du donneur d’ordre en cas de fraude relevant de son sous-traitant.

En France, la responsabilité solidaire du maître d’ouvrage a précédemment été engagée par la Cour d’appel de Chambéry dans un arrêt remarqué du 7 novembre 2013, pour avoir eu recours à un sous-traitant soumettant ses employés à des conditions de travail illégales (dépassement des horaires autorisés).

Pour condamner le maître d’ouvrage, la Cour d’appel de Chambéry s’est servie des dispositions régissant le travail dissimulé (travail non déclaré à l’administration fiscale et à l’URSSAF, communément appelé « travail au noir ») et notamment celles ayant trait à l’obligation de vérification des déclarations de son sous-traitant (Code du travail art. L.8222-2), et à l’obligation de diligence à l’égard de l’administration lorsque celle-ci l’alerte sur l’irrégularité de son contractant (Code du travail, art L.8222-5).

Le corollaire n’existait pas en matière de fraude à la réglementation sur le travail détaché,et la Cour d’appel de Chambéry a pu condamner le maître d’ouvrage parce qu’outre les fraudes en matière de travail détaché, le sous-traitant exerçait un travail dissimulé (travailleurs non déclarés à l’administration fiscale et sociale).

L’entreprise établie dans un autre Etat de l’Union qui détache des travailleurs en France a deux obligations : celle de déclarer les employés détachés auprès de l’Inspection du travail (Code du travail art. R.1263-3), et celle de respecter la législation du travail française (conditions de travail, horaires, SMIC, congés… , Code du travail, art. L.1262-4).

L’objet de la loi votée le 6 mai 2014 par le Parlement français est de responsabiliser le donneur d’ordre qui a recours à des entreprises établies dans un autre Etat de l’Union dont les employés sont détachés en France, aux fins d’assurer le respect de la législation du travail française.

 

Obligation de vérification de la déclaration de travailleurs détachés

La nouvelle loi introduit l’obligation pour le donneur d’ordre de vérifier auprès du sous-traitant qu’il s’est acquitté de son obligation de déclaration des travailleurs détachés à l’Inspection du travail, et de la nouvelle obligation mise à la charge du sous-traitant, de désigner un représentant chargé d’assurer la liaison avec l’inspection du travail (Code du travail, art. L. 1262-4-1). La sanction du défaut de vérification est une amende d’au plus 2 000 E par salarié détaché et d’au plus 4 000 E en cas de réitération dans un délai d’un an, sans pouvoir être supérieure à 10 000 euros.

 

Obligation de vigilance et de diligence quant au respect de la législation du travail par le sous-traitant

La loi créé une obligation de diligence à la charge du donneur d’ordre : s’il est informé par un agent de contrôle d’une infraction en matière de législation du travail (libertés individuelles, discrimination, conditions de travail, congés, salaires,…) il est tenu d’enjoindre à l’entreprise contrevenante de faire cesser sans délai cette situation, et d’informer l’agent de contrôle en cas d’absence de régularisation.

A défaut, le donneur d’ordre est tenu solidairement avec l’employeur au paiement des rémunérations, indemnités et charges afférentes au travail illégal. La loi impose la même obligation de diligence lorsque le maître d’ouvrage est informé de conditions d’hébergement collectif incompatibles avec la dignité humaine, mentionnées à l’article 225-14 du code pénal. Dans ce cas, le donneur d’ordre qui n’enjoint pas aussitôt au contrevenant par écrit de faire cesser sans cette situation, est tenu de prendre à sa charge l’hébergement collectif des salariés.

Il est particulièrement étonnant que ces obligations de diligence n’incombent pas seulement au maître d’ouvrage à l’égard des salariés de son cocontractant, mais également en l’absence de tout lien contractuel avec l’entreprise contrevenante. La loi précise toutefois que ces obligations n’incombent pas au maître d’ouvrage particulier qui contracte avec un prestataire de services établi hors de France, pour son usage personnel.

 

Une « liste noire » des entreprises condamnées pour « travail illégal »

Le texte crée une liste noire, publiée sur un site internet dédié, où pourront figurer pour une durée maximale de deux ans, sur décision du juge, les personnes physiques et morales ayant été condamnées pour «travail illégal». Au titre du « travail illégal » figurera la violation des nouvelles obligations de vigilance et de diligence du maître d’ouvrage en matière d’application de la législation du travail.

 

L’action en justice des organisations syndicales

Outre le travailleur détaché, les organisations syndicales pourront agir contre le maître d’ouvrage et exercer en justice toutes les actions résultant de la violation des dispositions régissant le travail détaché.

La loi ne créé toutefois pas le « délit de recours à une société » en infraction avec les dispositions sur le travail détaché, comme ce qui est prévu par l’article L.8222 du Code du travail en matière de travail dissimulé.

En conséquence, le donneur d’ordre qui se conforme à ses nouvelles obligations de vérification de la déclaration de travail détaché de son sous-traitant à l’inspection du travail, et de diligence en cas de signalement écrit de la part d’un agent de contrôle, ne saurait voir sa responsabilité solidairement engagée avec le sous-traitant en cas de fraude de celui-ci. Que les donneurs d’ordres se rassurent donc, car si le nouveau dispositif législatif créé un bel effet d’annonce à destination des entreprises qui subissent le dumping social, il n’a pas le pouvoir de d’assurer l’effectivité des contrôles.

Il convient enfin de rappeler que la volonté de contraindre sous-traitants et maître d’ouvrages à respecter la réglementation sociale du pays d’accueil n’est pas partagée par tous les Etats membres de l’Union.

Nombre d’entre eux, au premier rang desquels le Royaume Uni, fustigent l’idée de contraindre les acteurs économiques européens à respecter la législation sociale plus contraignante du pays d’accueil, et défendent le principe du pays d’origine qui instaure une seine concurrence incitant les Etats membres aux législations sociales trop rigides (35 heures, repos hebdomadaire le dimanche,…) à se réformer pour éviter que cette concurrence ne soit déloyale.

Suivant la Fédération française du bâtiment dans ses propositions adressées le 13 mai 2014 aux candidats aux élections européennes, la lutte contre la concurrence déloyale passe par une convergence fiscale et sociale européenne.

Ce débat qui s’invite sur la scène des élections européennes dépasse toutefois l’analyse du juriste.

Maud GENESTE
Avocat au barreau de Montpellier

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