Article publié dans 7Officiel – Mardi 22 juillet 2014 – N°1702

Les cannabinoïdes de synthèse commercialisés à des fins récréatives ne peuvent être qualifiés de médicaments

Par un arrêt du 10 juillet 2014, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient de juger que les produits constitués d’herbes aromatiques et de cannabinoïdes de synthèse commercialisés exclusivement à des fi ns récréatives, ne peuvent être qualifiés de médicaments, en dépit de leur vertu psychique. Le qualificatif de médicament ne peut leur être attribué dès lors qu’ils ne sont pas commercialisés à des fi ns thérapeutiques pour prévenir ou guérir une pathologie.

Par son arrêt, la Cour de justice rappelle que la notion de médicament en droit de l’Union n’inclut pas les substances qui, tels les mélanges de plantes aromatiques contenant des cannabinoïdes de synthèse, ont pour effet une simple modification des fonctions physiologiques sans être aptes à entraîner d’effets bénéfiques, immédiats ou médiats sur la santé humaine, et sont consommées uniquement en vue de provoquer un état d’ébriété, étant en cela nocives pour la santé humaine.

La Cour répond ainsi aux questions du Bundesgerichtshof (Cour fédérale d’Allemagne) qui, dans le cadre de deux procédures pénales, doit décider si la vente de mélanges contenant des cannabinoïdes de synthèse utilisés comme substituts de la marijuana peut donner lieu à des poursuites pénales au titre de la vente illégale de « médicaments douteux ». Dans l’espèce présentée à la CJUE, MM. D. et G. ont commercialisé entre 2010 et 2012 des mélanges d’herbes aromatiques contenant différents cannabinoïdes de synthèse. Ces derniers constituent des substances psychoactives tendant à imiter les effets du cannabis lorsqu’ils sont fumés. À l’époque des faits, la législation allemande relative à la lutte contre les stupéfiants ne permettait pas d’appréhender la commercialisation de ces substances. Les autorités allemandes ont donc condamné MM. D. et G. à des peines privatives de liberté sur le fondement de la législation relative aux médicaments, considérant qu’ils avaient mis sur le marché un « médicament douteux ».

Saisi de l’affaire, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) demande à la CJUE si, malgré les risques qu’elle présente pour la santé humaine, la composition en cause peut être qualifi ée de « médicament», dans la mesure où, bien qu’elle entraîne effectivement, comme la directive le prévoit, une modifi cation des fonctions physiologiques chez l’homme en exerçant une action pharmacologique, elle ne procure aucun bénéfi ce thérapeutique à ce dernier.

Une directive européenne définit la notion de « médicament par fonction » comme étant « toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou pouvant lui être administrée en vue […] de restaurer, de corriger ou de modifi er des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique »

La notion de « médicament » visée par la directive n’est pas susceptible de recouvrir une composition telle que celle en cause, car bien qu’elle soit capable de modifi er des fonctions physiologiques chez l’homme, son administration à des fins purement récréatives n’est destinée ni à prévenir ni à guérir une pathologie.

L’avocat général rappelait dans son rapport qu’il ne s’agit pas de faire obstacle à l’usage médical de stupéfi ants, lequel demeure indispensable pour soulager la douleur, mais de limiter la mise sur le marché de substances psychoactives. consommées par l’homme à des fins exclusivement récréatives, le consommateur recherchant en l’espèce les effets psychiques associés à la consommation de cannabis.

À l’appui de son raisonnement, M. Bot se fondait tout d’abord sur la définition de la notion de « médicament par présentation » visée par la directive, celle-ci se référant aux « propriétés curatives ou préventives [du produit] à l’égard des maladies humaines ». Le critère tenant à la «modification des fonctions physiologiques » ne peut pas être interprété indépendamment du contexte dans lequel il s’inscrit ni de l’application médicale à laquelle la substance ou la composition en cause est destinée. En effet, la directiveutilise non seulement le verbe « modifier », mais également les verbes « restaurer » et « corriger », lesquels visent une amélioration des fonctions organiques de l’homme ou le rétablissement de ses fonctions physiologiques, ce qui implique l’existence d’un bénéfice médical ou thérapeutique.

Par ailleurs, la directive, fondée sur la sauvegarde de la santé publique et sur la libre circulation des marchandises au sein de l’Union, s’oppose à ce que soient introduites sur le marché des substances dont les risques pour la santé humaine sont comparables à ceux que présentent les stupéfiants et dont l’administration s’effectue en dehors de toute application médicale.

Suivant l’avocat général, en réglementant l’autorisation de mise sur le marché ainsi que la fabrication, l’importation, l’étiquetage ou bien encore la distribution des médicaments, la directive vise à permettre la mise sur le marché et la libre circulation d’un produit sûr et efficace dont la composition a été analysée, les indications, les contre-indications, les risques et les effets indésirables évalués et la posologie, la forme  pharmaceutique et le mode d’administration déterminés. Ces règles n’ont donc pas vocation à s’appliquer à une composition dont on vise en réalité l’exclusion du marché, car elle est dépourvue de tout bénéfice médical et présente des risques pour la santé humaine.

La consommation des cannabinoïdes de synthèse en question entraîne en général un état d’ébriété pouvant aller de l’exaltation aux  hallucinations. Elle peut également entraîner des nausées, d’importants vomissements, des phénomènes de tachycardie et de désorientation, des délires voire des arrêts cardio-circulatoires. Ces cannabinoïdes de synthèse ont été testés par l’industrie pharmaceutique dans le cadre d’études pré-expérimentales. Les séries de tests ont été interrompues dès la première phase pharmacologique expérimentale : il est en effet apparu que les effets escomptés de ces substances sur la santé ne pouvaient pas être atteints et que d’importants effets secondaires étaient prévisibles en raison de l’efficacité psychoactive des substances.

S’il est compréhensible que, face à un vide juridique, l’Allemagne ait été tentée d’appliquer la législation relative aux médicaments afin de mieux contrôler et réprimer la mise sur le marché de ces nouvelles substances, un tel objectif ne peut néanmoins justifier une interprétation extensive voire une distorsion de la notion de « médicament ». M. BLOT estime, par conséquent, que seules des mesures répressives fondées sur le contrôle des stupéfiants sont à même de répondre à l’apparition de substances psychoactives sur le marché. A cet égard et dans un souci de clarté, l’avocat général préconisait que la base juridique des textes actuellement en projet soit clairement reliée à l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

Dans son arrêt du 10 juillet 2014, la Cour relève que, selon le Bundesgerichtshof, les mélanges en cause sont consommés à des fins non pas thérapeutiques mais purement récréatives, et qu’elles sont en cela nocives pour la santé humaine. Etant donné l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine, l’exigence d’une interprétation cohérente de la notion de médicament ainsi que celle d’une mise en relation de l’éventuelle nocivité et de l’effet thérapeutique d’un produit, de telles substances ne peuvent pas être qualifiées de médicaments, et appréhendées pénalement sous cette la qualification de « médicament douteux ».

Le fait que cette conclusion pourrait avoir pour conséquence de faire échapper la commercialisation des substances en cause à toute répression pénale n’est pas de nature à remettre en cause l’appréciation de la Cour. A charge pour les Etats membres d’adapter leur législation pénale pour appréhender ces nouvelles substances autrement que par la voie du « médicament douteux ».

Maud GENESTE
Avocat au Barreau de Montpellier
 
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