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DROIT MÉDICAL : bloquer le marché aux génériques coûte cher

Retarder la commercialisation du générique Citalopram

Article publié dans 7Officiel – 20 septembre 2016 – N°1815

 

Par un arrêt rendu le 8 septembre 2016[1], le Tribunal de l’UE confirme les amendes de près de 150 millions d’€ infligées à plusieurs entreprises dans le cadre de l’entente visant à retarder la commercialisation du générique de l’antidépresseur citalopram.

Lundbeck est une société danoise spécialisée dans la recherche et la commercialisation de nouveaux médicaments visant à combattre, entre autres, la dépression. À partir de la fin des années 1970, Lundbeck a développé et fait breveter le médicament antidépresseur contenant la substance active dénommée « citalopram ».

À l’expiration de son brevet de base sur la molécule du citalopram, Lundbeck ne détenait plus qu’un certain nombre de brevets qui lui apportaient une protection plus limitée. En particulier, Lundbeck avait déposé un brevet concernant un procédé de production du citalopram (brevet sur la cristallisation de sels).

Des producteurs de versions génériques, moins chères, du citalopram pouvaient donc envisager d’entrer sur le marché.

En 2002, Lundbeck a conclu 6 accords concernant le citalopram avec 4 entreprises actives dans la production ou dans la vente de médicaments génériques, à savoir Generics (UK)[2], Alpharma, Arrow et Ranbaxy. En contrepartie de l’engagement des entreprises de génériques de ne pas entrer sur le marché du citalopram, Lundbeck leur a accordé des paiements importants et d’autres incitations. En particulier, Lundbeck a versé des montants forfaitaires considérables, acheté des stocks de produits génériques dans le seul but de les détruire et offert des bénéfices garantis dans le cadre d’un accord de distribution.

Ces accords lui ont donné la certitude que les entreprises de génériques resteraient hors du marché pendant la durée des accords.

Au mois d’octobre 2003, la Commission a été informée par le Konkurrence- og Forbrugerstyrelsen (KFST, autorité danoise de la concurrence et des consommateurs) de l’existence des accords en cause. À l’issue de son enquête, la Commission a, par décision du 19 juin 2013[3], considéré que Lundbeck et les entreprises de génériques étaient des concurrents à tout le moins potentiels et que les accords litigieux constituaient des restrictions de la concurrence par objet, les sommes versées par Lundbeck en vue d’empêcher ces producteurs d’entrer sur le marché du citalopram correspondant environ aux profits qu’ils auraient pu réaliser s’ils étaient entrés avec succès sur le marché.

La Commission a alors infligé une amende totale d’un montant de 93,7 millions d’euros à Lundbeck et de 52,2 millions d’euros aux producteurs de génériques. Lundbeck et les entreprises de génériques ont saisi le Tribunal de l’Union européenne[4] pour faire annuler la décision de la Commission et l’amende qui leur a été infligée.

Dans ses arrêts de ce jour, le Tribunal rejette les recours de Lundbeck et des entreprises de génériques et confirme les amendes infligées à ceux-ci par la Commission.

Le Tribunal considère tout d’abord, à l’instar de la Commission, que Lundbeck et les entreprises de génériques concernés étaient bien des concurrents potentiels au moment de la conclusion des accords litigieux. À cet égard, il rappelle que, pour établir si un accord restreint la concurrence potentielle, il faut que les concurrents aient eu des possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché en l’absence de conclusion de l’accord.

Le Tribunal considère que la Commission a procédé à un examen minutieux, pour chacune des entreprises de génériques concerné, des possibilités réelles et concrètes qu’elles avaient d’entrer sur le marché, en se fondant sur des éléments objectifs tels que les investissements déjà réalisés, les démarches effectuées afin d’obtenir une autorisation de mise sur le marché et les contrats d’approvisionnement conclus avec les fournisseurs d’ingrédients pharmaceutiques actifs.

En outre, le Tribunal relève qu’il existait, de manière générale, plusieurs possibilités concrètes et réalistes d’entrer sur le marché pour les entreprises de génériques au moment de la conclusion des accords litigieux. Parmi celles-ci figure, notamment, le lancement du produit générique, avec la possibilité de devoir affronter Lundbeck dans le cadre d’éventuels litiges en contrefaçon. Le Tribunal estime par ailleurs que c’est à bon droit que la Commission a conclu que les accords litigieux constituaient une restriction de la concurrence par objet[5]. À cet égard, le Tribunal considère que Lundbeck n’a pas démontré que les restrictions convenues en vertu des accords litigieux étaient objectivement nécessaires pour protéger ses droits de propriété intellectuelle et, notamment, son brevet sur la cristallisation. D’une part, Lundbeck aurait pu protéger ces droits en intentant des actions devant les juridictions nationales compétentes en cas d’infraction. D’autre part, il existait de nombreuses façons de régler à l’amiable un litige en matière de brevets, sans pour autant convenir de restrictions relatives à l’entrée des génériques sur le marché. Enfin, il existait une incertitude quant à la question de savoir si le brevet de Lundbeck sur la cristallisation permettait de bloquer toute entrée des entreprises de génériques sur le marché, si bien que celles-ci disposaient de possibilités réelles et concrètes d’investir le marché au moment de conclure les accords litigieux.

Il s’ensuit que la Commission a pu conclure, à bon droit, à l’existence d’une restriction de concurrence par objet.

Le Tribunal rappelle en outre que la Commission était uniquement tenue de démontrer que les accords litigieux présentaient un degré suffisant de nocivité pour la concurrence, compte tenu de la teneur de leurs dispositions, des objectifs qu’ils visaient à atteindre ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’inséraient. En revanche, elle n’était pas tenue d’en examiner les effets ni la situation qui aurait prévalu en l’absence des accords litigieux. Selon le Tribunal, ce qui importe est que les entreprises de génériques disposaient de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché au moment de conclure les accords litigieux avec Lundbeck, de sorte qu’ils exerçaient une pression concurrentielle sur celle-ci. Or, cette pression concurrentielle a été éliminée pendant la durée des accords litigieux, ce qui constitue, en soi, une restriction de la concurrence par objet.

Maud GENESTE

Avocat[1] Arrêt rendu le 8 septembre 2016 dans les affaires T-460/13 Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy/Commission, T- 467/13 Arrow Group et Arrow Generics/Commission, T-469/13 Generics (UK)/Commission, T-470/13 Merck/Commission, T-471/13 Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commjssion et T-472/13 Lundbeck/Commission

[2] La société Merck, qui a introduit un recours dans l’affaire T-470/13, était la société-mère de Generics (UK) au moment des faits.

[3] Décision C (2013) 3803 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/39226 – Lundbeck).

[4] Le recours en annulation vise à faire annuler des actes des institutions de l’Union contraires au droit de l’Union. Sous certaines conditions, les États membres, les institutions européennes et les particuliers peuvent saisir la Cour de justice ou le Tribunal d’un recours en annulation. Si le recours est fondé, l’acte est annulé. L’institution concernée doit remédier à un éventuel vide juridique créé par l’annulation de l’acte. Un pourvoi, limité aux questions de droit, peut être formé devant la Cour contre la décision du Tribunal, dans un délai de deux mois à compter de sa notification

[5] L’article 101, paragraphe 1, TFUE interdit les accords qui ont pour objet de restreindre la concurrence.

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